Vous appelez cela champ d’honneur
Cette terre où mes amis se meurent,
Vous échangez des mots qui donnent le frisson.
Quand ils seront morts, demanderez-vous pardon
Aux veuves, aux orphelins dont vous ignorez le nom ?
Ils s’étaient promis de fonder une famille,
Vous les avez enrôlés de force à l’âge nubile.
En bons trublions vous saviez bien mentir
Il y en a pour trois mois, gardez le sourire,
Ne vous dites pas adieu, vous allez revenir.
Alors, rassurés, ils sont partis confiants
En la parole donnée. Ô ma mie, écris-moi très souvent
Pour que jamais je n’oublie nos promesses, nos serments,
Je m’en vais combattre pour bouter du pays
L’envahisseur, le Prussien l’ennemi maudit.
A mains nues ils ont creusé les tranchées,
Les généraux l’avaient demandé, l’avaient ordonné.
Pensaient-ils dans leurs bureaux surchauffés
Aux pauvres troufions frigorifiés et abandonnés ?
Pour le prestige d’un pays, combien pèse une vie ?
Une nuit de Noël, d’une tranchée, un chant s’est élevé,
L’ennemi, le redouté, soudain entonnait
Un superbe chant d’amour et de liberté.
Ils ont posé les fusils, échangé des cadeaux, oublié les inimitiés.
Les gradés les ont punis, par les armes ils sont passés. Fusillés.
Il me reste encore un peu d’espoir
Mais, aurais-je toujours en mémoire
Ces ombres filiformes et amaigries
Qui péniblement portaient un vieux fusil ?
Même si je claque des doigts, rien ne se passe.