Le village de Tiputa s'éveillait d'une longue nuit tropicale. Blottis sur le quai de la grande passe pour nous protéger du vent marin, nous attendions avec impatience l'arrivée du canot à moteur qui nous permettrait de traverser le lagon intérieur large de 35 kilomètres.
En effet nous avions décidé de nous rendre à un endroit apprécié de tous : "Les sables roses", qui scintille paraît-il, d'une parure d'un rose extraordinaire. Pour contempler cette merveille, nous devions traverser le lagon intérieur profond à certains endroits de 40 mètres, et cela dans sa plus grande largeur. Ce qui signifiait 2 heures de trajet à grande vitesse, mais également grand inconfort.
L'air était frais à cette heure matinale, et nous revêtîmes avec empressement nos gilets de mer, confortables, et surtout adaptés aux conditions d'un lagon houleux et venteux.
Nous débarquâmes alors que le soleil se levait dans un ciel merveilleusement clair. Les rayons de l'astre rasant le sable du motou qui nous servait de refuge, faisaient resplendir le sable de la plage d'un éclat mordoré, rose en effet, mais plus que cela, il y avait à certains endroits des tons framboise et même violet.
"C'est le soleil levant qui est à l'origine des sables roses" nota Bruno, un rien dépité.
"Pas seulement, protesta le pêcheur qui nous accompagnait, vous verrez qu'en plein midi le sable a une couleur plus douce, mais réellement rose. C'est la nature de la silice qui en est à l'origine.
Nous fîmes le tour du motou qui révéla qu'une seule famille l'habitait. Une famille composée d'une femme, deux enfants, et un homme brun comme un pruneau.
Leur faré était une simple cabane sur pilotis, recouverte de palmes de cocotiers.
"Il n'y a pas de soucis avec les vents du large ? demanda Bruno. L'homme ne répondit pas, on n'est pas tres loquace chez les hommes polynésiens qui ne s'expriment la plupart du temps qu'au moyen de signes ou de mouvements de sourcils.
Inspectant les abords du faré, nous remarquâmes un long fanon appuyé au mur de la cabane.
"Qu'est-ce que c'est ? s'enquit Nadette.
"Un requin, répondit l'homme "
"Un requin ? mais il est très grand !"
L'objet devait mesurer à peu près 1,20 mètre.
Examinant l'objet plus soigneusement, je compris qu'il ne représentait que le fanon arrière de l'animal..
"Nade, cet objet n'est qu'une partie de la queue du requin, dis-je "
"Qu'une partie de la queue ! s'exclama t-elle, mais alors...
L'homme brun comprit qu'il était maintenant nécessaire d'apporter quelques précisions à ces popas qui décidément ne comprenaient pas grand chose.
"C'est la queue d'un requin tigre de 6 mètres, précisa t-il de son accent traînant.
"De 6 mètres ! m'exclamais-je"
L'homme confirma d'un haussement de sourcils.
"Comment as-tu fait pour attrapper un tel monstre ? demanda Bruno.
"Je l'ai pris avec un gros crochet et un morceau de viande."
"Un morceau de viande ?"
"Oui, j'ai planté un pieu au bord du lagon, j'ai accroché une chaîne munie d'un crochet avec de la viande, et je suis allé me coucher."
Ainsi l'homme était allé se coucher sans plus s'occuper de son dispositif de pêche.
"Alors ?"
"Eh bien, le lendemain un requin avait mordu au crochet et s'était noyé."
Le requin s'était noyé ! il est bon de préciser que les requins ont la nécessité de se déplacer dans l'eau pour assurer leur oxygénation. Faute de quoi ils se noient tout bonnement.
"Mais alors, dis-je. Il y a de tels requins dans le lagon actuellement ?"
"Oui, répondit-il laconique"
"Et tu voudrais que nous nous baignions à cet endroit maintenant ?"
"Oh ! tu peux te baigner maintenant, et toute la journée. Tant que le soleil brille tu n'auras aucun problème, mais lorsque la nuit viendra, au crépuscule, il vaudra mieux éviter de te baigner. Les requins chassent la nuit.
"Surtout pas de bains de minuit ! s'exclama t-il, dans un sourire qui éclaira son visage jusqu'alors impassible.