Qui de vous, qui de moi, le savons nous madame,
Qui le sort de nous deux le premier choisira,
Nous vivons chaque jour jusqu'à l'ultime alarme,
Sans savoir le destin que la mort nous fera.
Ainsi passe la vie jusqu'à son dernier terme,
Et s'écoulent nos jours en morne cécité,
La vie, cette illusion, ce piège qui se ferme,
N'a point de mon avis d'autre réalité.
Alors aimons ce temps que l'oracle nous donne,
Savourons chaque instant, chaque chose nouvelle,
Les brassées de bleuets, le jasmin qui foisonne,
De la rose empourprée la face vermillonne,
Goûtons même la pluie dansant sur la margelle,
Le vent qui s'endurcit et l'hiver qui frissonne,
Chantons à nos amours de jolies ritournelles,
Puis quand le soir dévoile sa subtile dentelle,
Pointer le nez au ciel à l'horloge qui sonne,
Et s'endormir heureux sous la verte tonnelle.