Il est quatre heures du matin, tout est calme dans cette chambre où nous sommes alngés côte à côte.
J'entends distinctement le réveil égrener les secondes à la lumière jaune d'une lampe posée sur la table de nuit. Je la regarde étendue près de moi, sa chevelure éparse couvrant d'une houle blonde l'oreiller de coton blanc.
Elle est si jolie dans l'écrin de dentelles de sa chemise de nuit !
Son profile de médaille, le modelé de ses lèvres entrouvertes, le grain incomparable de sa peau qui bat doucement au rythme de son coeur.
Cependant je vais partir...
Nous nous sommes aimés follement depuis ce premier regard échangé dans la salle enfumée d'un dancing où le hasard m'avait conduit.
Nous avions dix huit ans !
Je la revois dans cette robe de drap qui moulait son corps d'une seconde peau évocatrice.
Assis au fond de la salle je regardais distraitement les gens aller et venirlorsqu'elle est apparue auréolée de l'éclat de ses cheveux roux.
Elle était magnifique !
J'ai pensé naturellement qu'elle ne pouvait être à moi qui n'était qu'un quidam perdu dans la foule qui se pressait autour d'elle
Et pourtant ! la chance a voulu que je sois celui qu'elle choisit.
Elle se tourne soudain vers moi murmurant à demi consciente une recommandation que je ne comprends pas, puis elle se rendort apaisée.
Et cette litanie qui assaille mon esprit : Je vais partir, je vais partir...
Nous avons été un couple parfait. De notre union est née une nouvelle entité formée par l'alchimie subtile de deux consciences égales et complémentaires.
Nous nous sommes accomplis ensemble, nous avons aimé, lutté, souffert, bâti une belle famille, nous avons réussi notre vie ensemble.
Nous étions en osmose parfaite au point qu'il nous arrivait d'avoir les mêmes pensées au même instant, de dire le même mot, de commencer la même phrase.
A l'extrémité du monde, dans les univers extrêmes, les contrées désolées, la seule présence qui me fut indispensable était la sienne, pas uniquement la sienne, mais nécessairement la sienne.
Elle est là blottie contre moi, je sens la douce et réconfortante chaleur de son corps.
Elle relève machinalement le drap sur ma poitrine comme pour me protéger une fois de plus.
Je sens que je vais partir...
Ma vie que je retiens depuis si longtemps m'échappe peu à peu.
Hier encore ellle s'est agenouillée près de moi, a posé la tête sur ma poitrine, et m'a enlacé. j'ai perçu un murmure qui était sans doute une prière, puis la tiédeur de ses larmes.
"Accroche-toi, a t-elle supplié, je t'en prie accroche-toi à la vie mon amour, je ne suis rien sans toi, ne m'abandonne pas "
J'ai lutté, j'ai tellemnent lutté que je puis lutter davantage.
Ce matin dans cette chambre au confort bourgeois, j'entends la ville qui s'éveille, des bruits familiers, la manifestation d'une vie banale que l'on imagine éternelle.
Je ne souffre pas, je ne souffre plus, j'ai tant souffert !
Peur moi ? non, je ne crains pas la mort, elle m'a apprivoisé. Je l'ai tant redoutée !
J'aurais voulu lui adresser une lettre, lui expliquer l'inexplicable, l'assurer de mon amour éternel, lui dire...
A quoi bon ? ces ultimes confessions n'auraient fait agraver sa peine.
La vie, cette vie dans laquelle je mordais à pleine dents, s'écoule de mes veines.
Je suis calme, étonnamment serein, j'attends la camarde avec curiosité.
Mon souffle a sensiblement ralenti, mes pensées semblent se concentrer avec une acuité soudaine au sommet de mon crâne.
Je ne suis plus qu'un cerveau !
Mon âme quitte lentement mon corps mortel, ma vie telle une fumée d'encens s'élève vers le plafond et va s'y fixer.
Je la vois une dernière fois étreindre ce corps sans vie qui n'est plus moi.