« Parisien tête de chien, Parigot tête de veau » combien de fois ai-je entendu ce refrain. Pour moi l’enfant timide et réservé, nouvellement débarqué de la région Parisienne, qui découvrait la rudesse de la vie à la campagne, ces mots trop souvent répétés, des autres chaque jours encore plus m'éloignaient.
Quand j’avais le cœur trop lourd, dans le verger, je m’asseyais au pied d’un pommier aux grosses pommes jaunes à la saveur sucrée et acide, que j’aimais tant. Au milieu des poules, des canards et autres animaux de la basse-cour, j’allais m’asseoir pour lire et parfois, en cachette pleurer.
Au début, caquetant et picorant en me jetant des regards intrigués, craintivement une poule grise s’approchait de moi, Le temps faisant, elle s’approchait de plus en plus.
Un jour alors qu’elle passait à portée de mains j’ai voulu l’attraper et à ma grande surprise elle s’est accroupie se laissant attraper
Pendant que je lui caressais le dos elle caquetait doucement en grattant le sol de ses pattes.
Elle devint ma confidente et tous les jour en rentrant de l’école je la prenais sur mes genoux et lui racontais mes petits malheurs de la journée, quand elle inclinait la tête comme si elle m’écoutait j’avais l’impression qu’elle me comprenait. Je l’ai appelé Grisette.
Grisette pris la drôle d’habitude de venir chaque soir près de la barrière, comme un bon chien, dès qu’approchait l’heure du retour de l’école. Quand elle entendait en haut du chemin de terre ma voix, elle se mettait à courir très vite en battant des ailes comme si elle voulait s‘envoler et, arrivée à ma hauteur elle s’accroupissait attendant son câlin alors je la prenais dans mes bras et la serrais très fort, je lui faisais même des bisous. Ce spectacle un peu surprenant amusait parents et voisins
Ma Grisette était une poule un peu spéciale, elle ne se contentait pas de pondre un œuf par jour comme toute bonne pondeuse mais ses œufs avaient deux jaunes et quand nous en mangions, bien sûr je ne voulais que manger les siens. Maman me disait que c’était la poule aux œufs d’or.
Parfois elle se montrait un peu jalouse chassant toutes autres volailles voir même le chien quand il s’approchait de moi, j’avais beau la gronder rien n’y faisait elle me voulait pour elle toute seule et au fond cela m’arrangeait bien moi l’exclu, j’avais une amie rien qu’à moi qui me montrait que je comptais pour elle
Quand elle couvait il m’était défendu d’aller la voir car une poule qui couve pour protéger sa nichée peu devenir très agressive. Conseil que bien évidemment je n’ai jamais suivis.
Chaque jour en cachette j‘y allais et lui parler, la caresser comme avant, sans qu’elle ne montre aucune agressivité. Chaque couvaison était pour moi source d’inquiétude, elle était bouillante et sous ses paupières translucides ses yeux étaient si fatigués, aussi quand j’entendais venant de sa nichée des faibles pépiements c’était à chaque fois un grand soulagement. Et, lorsque très digne elle promenait sa petite couvée. Quel spectacle, ma Grisette qui marchait hautaine suivi de ces petites boules de plumes, qu’est que j’étais fier d’elle.
Cela n’altéra jamais notre drôle de complicité, elle restait ma confidente toujours aussi attentive, elle me suivait partout, voir même dans la maison au grand désarroi de ma mère car il faut dire que contrairement à un chien une poule ne s’éduque pas, surtout pour la propreté …
Je ne sais plus ce qu’était ce jour, un jeudi ou un samedi, tout ce dont je me rappelle c’est qu’il n’y avait pas d ‘école
Mon père qui sans doute avait sous-estimé mon attachement à Grisette me demanda un jour de l’attraper m’expliquant que devenant trop vieille il était tant de la manger. J’étais pétrifié, bouleversé, je ne pouvais pas faire cela, c’était mon amie, ma seule amie.
Je me vois lui donnant des coups de pieds, et lui demandant désespérément de partir pour ne pas qu’elle s’accroupisse .Va-t-en ! Va-t-en ! Je l’implorai de s’éloigner. Je me souviens encore des grosses larmes qui coulaient sur mes joues je ne pouvais presque plus respirer, la pauvre me regardait, je lisais l’incompréhension dans ses yeux, mais elle refusait de se sauver.
Mon père s’était approché de moi sans que je le visse arriver, il n’eut aucun mal à l’attraper, elle restait comme figée près de moi. Elle ne réagit qu’une fois prise par les pattes , jamais elle n’avait été tenue ainsi , en suppliant, je courrais derrière lui et lui criais en sanglotant « non, je veux, pas, pas ma Grisette lâche la , lâche la ! » Et la pauvre grisette battait des ailes et crier aussi
On eu beau m’expliquer qu’elle commençait à se faire vieille et qu’une poule ça ne vit pas longtemps, que si on ne la mangeait pas on la retrouverait morte un jour quelque part, je ne voulais rien entendre, je ne pouvais me résigner à voir ma Grisette finir dans une cocote
Le soir à table mon estomac était si serré devant ce plat répugnant, qu’il me fut impossible de manger et je crois me souvenir que mes pleurs avaient coupé la faim de tout le monde
Grisette avait trois ans, le lendemain le voisin nous apprenait qu’une poule pouvait vivre jusqu’à onze ans
Longtemps je l’ai pleuré, longtemps j’en ai voulu à mon père, jamais je ne l’ai oublié et jamais je n’ai autant aimé un animal
D’habitude les enfants ont un chien, un chat ou même un lapin comme compagnon, moi c’était une poule, mais une poule très spéciale plus douce et aussi fidèle qu’un bon chien, une petite poule grise qui m’avait choisi et avait su m’apprivoiser
Tonyves